Fûka, vol.1 – Don’t stop the music !

« Avec les portables, on sait tout à l’avance…
plus aucune surprise. Avoue que c’est un petit
peu ennuyeux. »
Fûka

Ne connaissant ni l’adaptation animée de Fûka ni les mangas précédents de Kouji Seo, je me suis lancé dans Fûka sans a priori : il en ressort un premier tome convaincant et, sous couvert de nous parler de jeunes gens et de musique, le volume traite de problématiques qui donnent à voir, en creux, un aperçu de la vie des jeunes, des différentes positions qu’ils peuvent occuper.

Fuka T1

Smartphone : pour le meilleur et pour le pire ?

Si un objet devait être mis en avant dans Fûka il s’agirait du smartphone. Tout le monde en a et se trouve ainsi connecté aux autres. Vive les mails et les réseaux sociaux ! Yû Haruna, lycéen, est un adepte de Twitter : avec près de 500 abonnés, il a des contacts, il est actif, raconte sa vie. Mais a-t-il des amis ? Pas vraiment. Ce qui se passe sur Twitter reste sur Twitter. Du reste on voit peu de réponses à ses messages. Cette vie semble malgré tout lui convenir.

Surtout que c’est par Twitter que Yû va renouer contact avec une amie d’enfance qui commence à percer dans le monde de la musique. Et c’est aussi à cause d’un tweet que Yû va faire la rencontre de Fûka : ils se percutent dans la rue, alors que le jeune homme était fixé sur son téléphone en train de rédiger son message. Un premier contact qui assurera une notoriété très éphémère à Yû sur le réseau social.

Fûka, par contraste, n’a pas de téléphone portable. Elle a plutôt un lecteur CD pour écouter la musique qu’elle apprécie. Autant de moments d’évasion qu’elle aime savourer, parfois, sur le toit du lycée… un lycée où se trouve aussi scolarisé Yû qui sera aussi dans la même classe que Fûka. Le hasard fait parfois bien les choses.

Premier contact peu ordinaire

Temporalités

Les contacts vont se multiplier entre les deux personnages principaux. L’énergique Fûka contraste avec Yû, plus renfermé, plus maladroit aussi dans son analyse des interactions, dans ses propos et ses gestes. Il manque de pratique mais ce côté gauche ne le dessert pas. Et on devine que le personnage devrait aller en s’ouvrant davantage aux autres, sous l’effet de sa rencontre avec Fûka. Et cette dernière bénéficie aussi de ses échanges avec Yû qui lui permet d’ouvrir la cage où elle se trouvait. La rencontre entre les deux personnages leur permet d’avancer.

On pourra aussi remarquer le contraste qui s’établit entre les moments où ils sont ensemble, où le temps semble ralentir et les autres vécus par Yû. Je pense notamment à ces scènes de classe où il importe d’être hyper réactif – comme sur les réseaux sociaux – lorsque des camarades lui demandent de lui envoyer son adresse mail. Parce qu’il a oublié son téléphone, immédiatement les autres lui font signe que rien ne presse et Yû ressent cela comme une mise à l’écart. La vie de lycéen n’est pas facile, surtout quand on débarque dans un tout nouvel environnement : les premiers moments sont décisifs pour se faire des amis.

Notre héros arrive en effet à Tokyo où il vit avec ses trois sœurs. Leurs parents sont partis aux  États-Unis (mutation du père). Les échanges au sein de la cellule familiale sont plutôt rares et pour le moment les trois sœurs ne semblent pas occuper une grande place dans l’univers du garçon qui souhaite surtout être tranquille. Mais ces moments de vie qu’il occupe en pianotant devraient bientôt changer.

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Mise en musique

Le duo principal de Fûka porte la série de belle manière et on attend de voir ce que vont devenir d’autres personnages (notamment Mikasa). Certes, on peut noter que l’intrigue bénéficie de quelques coups de pouces au départ et laisse poindre à l’horizon un éventuel triangle amoureux. Pour autant ces éléments – tout comme la présence de certaines scènes mettant en évidence les sous-vêtements féminins – ne coulent pas le volume. Ce dernier pose à mon sens deux grandes idées : lever le nez de son téléphone c’est bien car la vie ne s’arrête pas aux réseaux sociaux ; la musique peut ouvrir bien des horizons – ce dernier point étant à développer.

Côté dessin Kouji Seo nous propose un graphisme qui permet de bien retranscrire les émotions des personnages. Quelques profils ne sont pas aussi bien réussis que d’autres mais l’essentiel reste de bonne facture et se lit sans problème. J’ai aussi apprécié que les bulles connaissent des variations dans leur contour lorsque certaines pensées de Yû sont exprimées.

Au plan matériel, la jaquette propose une jolie association de couleurs entre le titre, les cheveux de Fûka et ses écouteurs. Á l’intérieur du volume, les pages sont parfois un peu transparentes mais l’ensemble se parcourt sans difficulté : Julien Favereau propose une traduction qui colle bien avec la personnalité (que l’on imagine) des personnages.

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***

Le premier volume de Fûka offre une introduction convaincante qui, en parallèle de l’intrigue principale organisée autour des sentiments des personnages et de la musique, permet d’aborder plusieurs questionnements liées à notre existence (la place des réseaux sociaux, le culte de l’instant, le déracinement que l’on subit lorsque l’on déménage…). De quoi rendre curieux le lecteur et désireux de savoir ce que la suite proposera.

N.B. : Les images présentes dans cet avis ont seulement une fonction illustrative. Elles demeurent la propriété de Kouji Seo, Kôdansha et des éditions Pika.

Publié par

Anvil

Lecteur de manga, manhua, manhwa... visionneur d'animés, films... et de plein d'autres "trucs" car ma curiosité n'a (presque) pas de limites. Je suis touche-à-tout sans être bon à rien. Les avis présents ici n'ont, par conséquent, aucune prétention si ce n'est celle d'offrir un point de vue sur une œuvre qui m'a interpellé. Vous pouvez me retrouver sur Twitter : @Anvil_G ; sur Sens Critique : Anvil et ailleurs... See you Space Cowboy!

4 réflexions au sujet de “Fûka, vol.1 – Don’t stop the music !”

  1. Ca m’a l’air plutôt original comme shojo, j’y jetterai peut-être un oeil si je le trouve en bibliothèque (parce que je suis assez fauchée et que j’ai déjà trop d’achat en cours).
    Je veux dire, parler du monde moderne de cette façon et ce que ça change dans les rapports humains, des réseaux sociaux qui en vérité nous renvoient à notre solitude, au lieu de nous relier. Et toujours, cette nécessité d’aller vite, qui fait qu’on s’oublie. Qu’est-ce qu’on peut dire en 148 signes ? Je me suis inscrite sur Twitter récemment, et on devient vite accro à faire défiler les messages, sans vraiment les lire, et chacun reste dans sa bulle, tout en se scrutant. On a l’impression d’exister, d’avoir une visibilité, mais je crois que c’est l’inverse, on passe son temps à se mettre en scène pour vouloir plaire et être reconnu et finalement, on n’arrive plus à atterrir dans la réalité (?). Bien sûr les réseaux sociaux n’ont pas que des défauts, ils nous permettent de s’informer, mais il faut savoir prendre de la distance parfois.

    C’est intéressant de mettre en parallèle les réseaux sociaux et la musique, qui ne s’écoute plus qu’en casque de nos jours, chacun dans son coin. C’est aussi une façon de s’isoler, de se retrancher du monde. C’est devenu tellement machinal, je me demande toujours si les gens qui ont tout le temps leurs casques sur les oreilles arrivent encore à percevoir la musique, ou si c’est juste du son qui sert à couvrir le silence, ce qui est très triste. Mais bon, ce n’est certainement pas le cas de Fuka d’après ta description, même s’il peut toujours y avoir une part d’ambiguïté.

    En tout cas, ça m’a éveillé bien des réflexions, les sujets abordés sont intéressants et très actuels.

    (Pour répondre au commentaire sur Tokyo Kaido de l’autre fois, si tu n’as pas lu Sunny, je le conseille vraiment. A l’inverse de ce qui est traité ici, on perçoit le monde dans sa lenteur, par une attention portée aux détails les plus infimes du quotidien, par des dessins tellement beaux qu’on prend vraiment le temps de les contempler. C’est ce que j’apprécie le plus dans cette oeuvre : le rythme dans lequel elle nous met. Ca nous apprend à regarder le monde différemment. Et même si ce n’est pas tout à fait joyeux, ce n’est pas non plus déprimant. C’est triste mais plein d’espoirs. Et qu’est-ce qu’ils sont attachants ces gosses. Ca m’a brisé le coeur de les quitter.)

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    1. Merci beaucoup pour ces réflexions ! Un développement des plus instructifs, ça fait plaisir à lire, sincèrement. Je ne sais pas si Fûka insistera sur ces éléments mais dans ce volume ils ont vraiment fait tilt dans ma tête. Je partage sans réserve tes propos sur les réseaux, cette ambivalence qu’ils contiennent. Tous connectés c’est bien mais le lien qui en ressort est à géométrie variable.

      Très bien vu ce parallèle avec la musique ! Je suis un peu stupéfait de voir parfois dans le train deux personnes qui se connaissent, s’asseoir en face l’une de l’autre se parler trente secondes et puis chacune se met des écouteurs et écoute sa musique dans son coin. 0 partage.

      Devant une telle déclaration pour Sunny il va falloir que je lise cela alors. « Triste et plein d’espoirs » en plus du dessin… un must read alors ! 🙂

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  2. De rien, tant mieux si tu as apprécié. Je me suis relue et trouvais que c’était un peu confus.
    Oui, j’imagine que l’enjeu sera de faire sortir les jeunes gens de leur bulle, faire en sorte qu’ils regardent un peu plus loin que le bout de leur nez, ce qui n’est pas évident à cet âge, on n’a pas grand chose dans la tête. Mais bon, c’est « l’apprentissage de la vie ». J’espère que par rapport aux thèmes abordés (les nouvelles technologies, les réseaux sociaux, tout ça), l’auteur ne tombera pas dans quelque chose de trop simpliste et que ce n’est pas juste un prétexte pour la romance.
    Le rapport moderne des jeunes gens à la musique m’attriste un peu parfois, même si je sais bien que je n’ai pas tellement le droit de les juger. Car la musique est une expérience émotionnelle à l’état pur, avoir tout le temps du son dans les oreilles risque de les rendre insensible à cette expérience. Façon de tuer la musique, que de la réduire à du son. Bien sûr il y a aussi la question du partage. Alors qu’avant, elle se vivait ensemble avec les autres (les concerts par exemple), maintenant, c’est le plus souvent chacun dans son coin. C’est une autre expérience.
    Aaah Sunny…Si on aime les dessins un peu atypiques et les narrations lentes, c’est un indispensable. A mon avis, Matsumoto n’a jamais dessiné aussi bien. Il utilise systématiquement l’aquarelle, ça donne des dessins très vivants et très humains je trouve. Et puis ces moments de fulgurance poétique, c’est indescriptible. « Triste et plein d’espoirs » au sens très général : c’est sur le quotidien d’enfants dans un foyer, abandonnés par leurs parents pour la plupart, donc oui, on a des situations assez tristes.En même temps, qui n’a jamais ressenti le manque de tendresse et de reconnaissance, la solitude et l’impuissance ? Et puis d’un autre côté, la vie continue et l’avenir est ouvert. « Quand tu seras plus grand, toute cette tristesse te donnera des forces, et elle te protégera », dit l’un des adultes du foyer à un des gosses. Le temps fait bien les choses. Pour moi, ça a vraiment été une leçon de vie.
    Mais bon on ne peut pas dire que je sois très subjective, Taiyou Matsumoto étant l’un de mes auteurs préférés, je ne peux être qu’en extase devant tout ce qu’il fait.

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    1. Tu as la confusion très lisible alors. 🙂
      Je joins mes vœux aux tiens, j’espère que ce n’est pas un simple feu de paille parce que comme tu le montres il y a vraiment pas mal de choses à creuser. Et je ne sais pas si les mangas sont vraiment nombreux à se pencher sur cela. Enfin parmi toute la production asiatique il doit y en avoir mais disponibles en France, je n’ai pas trop de titres en tête…
      Pour écouter de la musique pas si souvent que cela, c’est vrai que c’est une expérience singulière qui par moments me fait penser qu’elle peut être partagée, d’autres fois j’en suis moins sûr tant les sons, voire les paroles nous touchent parfois du fait des échos qu’ils provoquent en nous. C’est un peu la même chose avec les mots ceci dit. Par exemple lire ce que tu écris à propos de Sunny cela évoque quelque chose, l’œuvre n’est pas lu dans le vide surtout quand il y a de telles thématiques sur la table.
      Ton « extase » pour Matsumoto est convaincante ! Un nouvel auteur à découvrir grâce à toi. 🙂

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