Lady Snowblood – There Will Be Blood

« La femme qui marche sur le rivage
de la vie jette au loin ses larmes
La femme qui marche sur la route de
la vengeance jette au loin son cœur« 

Alors que l’intégrale de Lady Snowblood est parue il y a quelques jours, l’occasion est belle de revenir sur une des séries où les deux Kazuo (Kamimura et Koike) ont collaboré pour un résultat qui nous emporte au XIXe siècle où une quête vengeresse va emporter sur son passage bien des vies… et des cœurs.

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La vengeance dans la peau

Si Kazuo Kamimura a été mis à l’honneur cette année et continuera à l’être – du côté des éditions Kana ainsi que du Lézard Noir qui doit faire paraître en 2018 les Fleurs du Mal – il fait partie de ces auteurs que j’ai approché récemment. L’exposition qui s’est tenue à Angoulême m’en a fourni l’occasion et après le Club des Divorcés, voici une plongée dans un univers bien différent et pas seulement sur le plan temporel. Lady Snowblood se déroule à la fin du XIXe siècle alors que l’ère Meiji a engendré plusieurs bouleversements et troubles dont certains coûteront chers à Sayo, la mère de Lady Snowblood. L’homme qu’elle aime et son fils périront par la faute de quatre individus. Si elle aura la peau de l’un d’entre eux elle sera arrêtée et écrouée avant d’avoir pu mener sa vengeance à terme.

Enfermée elle ne renonce pourtant pas à se venger… Elle va chercher à avoir un enfant pour qu’il élimine les trois individus encore en vie. Couchant avec le personnel masculin de la prison elle finira par avoir une fille mais mourra peu de temps après l’accouchement. Aux autres prisonnières de lui apprendre quelle est sa « mission ». La relation mère-fille sort donc des relations d’amour maternel. La jeune Yuki, future Lady Snowblood, est en vie pour donner la mort. Apprenant tout ce qu’il faut pour être une assassine hors pair elle dissimule un sabre particulièrement tranchant dans son parapluie qui ne la quitte jamais. Mais pour retrouver et éliminer les trois brigands elle doit récolter des informations ce qui coûte du temps et de l’argent. Parallèlement à sa quête principale, Yuki exécute donc diverses missions pour lesquelles elle est (très bien) rémunérée.

Marcher
Ils ne marcheront plus ensemble… SHURAYUKIHIME© 1972 by KAZUO KOIKE / KAZUO KAMIMURA / Koike Shoin Publishing Co., Ltd.

La vengeance et sa transmission constituent le premier axe de la série, qui permet de nous plonger dans un univers loin des lumières de l’ère Meiji : ruelles sombres, prostitution, gangs, intimidation, chantage, présence de groupuscules nationalistes en faveur de la tradition… notre tueuse professionnelle évolue dans des univers dangereux où elle rend parfois justice pour ses clients. De quoi faire ressortir ses talents en matière de déguisement, mensonges… ainsi que sa beauté car hommes comme femmes, personne ne reste longtemps insensible. L’œuvre met ainsi au premier plan la question du corps et de ses usages, notre tueuse n’hésitant pas à se dénuder de temps à autre pour déstabiliser son adversaire, prouver qu’elle n’a pas d’arme…

Couvrez ce sein que je ne saurais voir…

Cet élément confère un soupçon de sensualité et d’érotisme à la série qui nous propose, de plus, différentes scènes de sexe où le caractère suggestif et la représentation (fleur…) sont à l’honneur. Oui on peut montrer du sexe, suggérer sans tomber dans le voyeurisme. Kazuo Kamimura sait représenter le désir naissant, dévorant, montrer juste ce qu’il faut, proposer des métaphores, laisser l’imagination du lecteur ou de la lectrice faire le reste… Ajoutons que les relations montrées ne sont pas uniquement hétérosexuelles : Lady Snowblood peut aussi coucher avec d’autres femmes et affirmer ainsi une sexualité libre. Cependant, le corps n’est pas toujours objet de plaisir ; il peut devenir objet de souffrance car les scènes de violence physique, sexuelle, ne sont pas minces, le manga nous en décrivant même certaines (« l’ouverture de la porte du secret féminin« …). Mais, même avec un corps moins imposant (physiquement) que celui des hommes, Lady Snowblood trouve toujours un moyen de s’en sortir. En matière de combat on peut dire que c’est une Makie en bonne santé à qui personne ne résiste !

désir
Un désir dévorant, qui finit par être assouvi… SHURAYUKIHIME© 1972 by KAZUO KOIKE / KAZUO KAMIMURA / Koike Shoin Publishing Co., Ltd.

Yuki ayant une vengeance à accomplir, cela donne un côté secondaire à la plupart des personnages qu’elle croise, exception faite de ceux liés à sa mère. Elle reste le personnage central de la série autour duquel tout gravite quand les « méchants » – y compris le trio principal – ne resteront pas dans les mémoires tant ils sont loin de pouvoir réellement inquiéter l’assassine. Pour autant les moments passés par Yuki avec les autres personnages ne sont pas vides, inutiles. Ce sont aussi des instants de pause pour elle, où l’on peut voir des sourires, des paroles douces, de la solidarité se développer. Comme une bulle précieuse pour la tueuse, pour éviter qu’elle ne sombre totalement dans les affres de la vengeance.

Ce point prendra de l’importance dans le grand épilogue qui conclut la série, où Yuki va trouver une nouvelle raison de vivre et l’œuvre monter en généralité et en précision dans sa critique sociale. On verra ainsi des éléments propres à la théorie marxiste pour dénoncer les méfaits du capitalisme qui conduit à l’impérialisme et au militarisme (en plus des problèmes de fonctionnement des autorités), fait taire les protestations et inflige bien des souffrances à sa population. D’où la volonté de lutter, d’appeler à la formation d’un État-providence… qui est alors en pleine gestation sous l’effet de l’ouverture du Japon (voir sur ce sujet l’excellent ouvrage de Bernard Thomann, La naissance de l’État social japonais).

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L’union ne fait pas toujours la force ! SHURAYUKIHIME© 1972 by KAZUO KOIKE / KAZUO KAMIMURA / Koike Shoin Publishing Co., Ltd.

Représentation et affirmation

Au gré des chapitres composant Lady Snowblood et des rencontres qui s’y déroulent se trouve ainsi mis en place un voyage dans le Japon de la fin du XIXe siècle en même temps que l’affirmation d’une identité (notre héroïne répète à plusieurs reprises qu’elle est Lady Snowblood), qui participera à la construction d’une renommée certaine. Yuki n’est pas qu’un objet de vengeance mise au monde par sa mère. Sa quête vengeresse est aussi une quête de reconnaissance. Une revendication qui se coule remarquablement bien dans la trame générale de la série et participe au charisme déployée par l’héroïne.

Graphiquement Kazuo Kamimura livre une superbe copie, toujours aussi agréable à regarder près de 45 ans après sa première parution au Japon. Outre les pages et double-pages portées par un fort lyrisme, le point le plus intéressant concerne la suggestion du mouvement qui ne passe pas (ou alors rarement) par l’ajout de traits autour des personnages, de leurs membres mais par la successions de cases soigneusement organisées ou un élément change à chaque fois, comme si on avait sous les yeux une pellicule de film que l’on ferait défiler devant les yeux.

Le feu
Un visage dans les flammes SHURAYUKIHIME© 1972 by KAZUO KOIKE / KAZUO KAMIMURA / Koike Shoin Publishing Co., Ltd.

L’intégrale de l’édition française (qui remplacera à terme les trois tomes de la précédente édition) propose une jaquette originale ainsi que des dimensions un peu plus importantes que le format précédent (14,8 x 21 cm contre 12,7 x 18 cm). L’épaisseur du volume ne pénalise pas la manipulation et il bénéficie d’un bon degré de souplesse pour être ouvert et parcouru sans forcer. Sur les 1408 pages que constitue l’ouvrage, une dizaine sont occupées par des des postfaces (à retrouver à partir de la page 1390) dont une de Kazuo Kamimura qui revient sur l’origine du projet, son investissement dans la série et ses doutes à pouvoir rendre par le dessin le scénario de Kazuo Koike.

Quo vadis Lady Snowblood ?

L’œuvre de Kazuo Koike et Kazuo Kamimura propose une histoire de vengeance qui ouvre sur un univers et des questions qui déborde ce cadre de départ. Tout en nous faisant comprendre les raisons de cette quête vengeresse et le fait que rien ne saurait l’entraver, la série prend aussi le pouls du Japon de l’ère Meiji, ausculte son état général pour en révéler les failles, suggérer et illustrer de multiples oppositions (présent/passé, vie/mort, liberté/aliénation…) dont les combinaisons et recombinaisons offrent à Lady Snowblood un rythme et une narration qui en font un titre à lire et à relire.

Effet de surprise
Prendre Lady Snowblood par surprise ? Vous n’y pensez pas ! SHURAYUKIHIME© 1972 by KAZUO KOIKE / KAZUO KAMIMURA / Koike Shoin Publishing Co., Ltd.

Un très grand merci à l’Équipe Kana et à Stéphanie Nunez pour leur disponibilité et efficacité dans la fourniture des planches qui embellissent cet avis !

Publié par

Anvil

Lecteur de manga, manhua, manhwa... visionneur d'animés, films... et de plein d'autres "trucs" car ma curiosité n'a (presque) pas de limites. Je suis touche-à-tout sans être bon à rien. Les avis présents ici n'ont, par conséquent, aucune prétention si ce n'est celle d'offrir un point de vue sur une œuvre qui m'a interpellé. Vous pouvez me retrouver sur Twitter : @Anvil_G ; sur Sens Critique : Anvil et ailleurs... See you Space Cowboy!

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