Erased, vol.8 – L’union fait la force

« Je voulais combler le vide dans mon cœur ! »
(Satoru)

En juillet 2014 débutait en France une série qui ne passait pas inaperçue : nous étions en été et la jaquette du premier tome donnait à voir une jeune fille, Kayo, marchant dans la neige, seule, les mains agrippant les bretelles de son cartable, son regard nous échappant. Deux années et demie plus tard paraît le tome 8 : la neige continue de tomber mais sur une ville (1) et l’intrigue comble nos attentes, faisant de Erased un manga de premier plan, qui nous offre une belle leçon de vie.

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Arrête-moi si tu peux

Pour ce dernier volet de la saga, Kei Sanbe nous offre une partie d’échecs entre Satoru Fujinuma et l’assassin qui l’a plongé dans le coma pendant 15 ans. Cet affrontement entre deux adversaires qui se connaissent bien va se révéler riche en rebondissements, l’auteur maîtrisant parfaitement les codes du genre pour faire monter la tension en quelques cases, induire le lecteur en erreur en usant de la manipulation narrative…

Il faut dire que le cadre retenu s’y prête tout particulièrement : en se rendant au Parc de l’étang des camélias, les personnages vont, sur fond d’ambiance légère et de festivités, se retrouver dans un environnement propice aux surprises, entre étangs, forêt, ombres et chalets dispersés. Le contraste entre le calme du lieu et l’activité de Satoru, Kenya et du coupable – chacun tentant de piéger l’autre – ne fait que renforcer le suspense et l’envie de connaître le dénouement.

Si une conclusion heureuse – et moins précipitée que celle de l’animé – nous attend, Erased nous offre aussi un dernier chapitre se déroulant sept années plus tard. Une sorte d’épilogue qui gagne à être mis en regard avec les premiers chapitres du manga tant Satoru voit sa vie évoluer (son manga sera même adapté en animé ! – toute ressemblance avec un manga existant serait fortuite). Ce qu’il a vécu l’a transformé et les dernières pages nous comblent un peu plus encore, au point où, comme lui, nos yeux s’humidifient.

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Kumi et le meurtrier : ombre et lumière

La force des liens

Pourquoi Erased est-il un si bon manga ? Pas simplement parce que Kei Sanbe a construit un thriller efficace, à partir d’un don exceptionnel attribué à son personnage principal, ni parce que son art graphique capture avec une redoutable efficacité les expressions et la « nature » des personnages (regards, postures, jeu sur l’ombre et la lumière…). C’est aussi, et peut-être même surtout, parce que Kei Sanbe touche à des sujets qui parlent à tous : maltraitance, meurtre, amitié, entraide, mensonge, solitude… tout en nous offrant nombre d’instants de vie qui ne laissent pas indifférents : sorties entre amis, fête d’anniversaire, repas pris avec des êtres chers…

Le bond dans le passé qu’effectue Satoru nous offre alors l’occasion de replonger dans le quotidien des écoliers (un brin de nostalgie pour les lectrices et lecteurs qui ont déjà dépasser cet âge ?), avec ses bons et ses mauvais côtés. On comprend clairement à quel point ce retour constitue une opportunité pour notre héros, pour qu’il puisse modifier le passé, changer l’avenir et, ce faisant, ne pas perdre ce qui le relie à ses camarades d’alors.

Surtout, si l’auteur a parfaitement géré le rôle et la place de chacun des personnages, principaux comme secondaires, il a développé avec la mère de Satoru, Sachiko, une des meilleures mères vues dans un manga. Élevant seule son enfant, Sachiko montre une famille monoparentale dans son quotidien, et développe toute une panoplie de qualités, d’intuitions, de manières d’être et de faire qui la rendent éminemment sympathique. Il n’est pas exagéré de dire que c’est elle l’héroïne de la série !

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Sachiko Fujinuma

Effet papillon

Voyager dans le temps est une activité qui n’est pas sans risque. On garde en mémoire la nouvelle de Ray Bradbury, A Sound of Thunder, où il ne faut pas modifier grand-chose dans le passé pour engendrer des bouleversements dans l’avenir. On peut aussi penser, côté film, à l’Effet papillon. Toutefois, dans Erased, Satoru ne maîtrise pas son pouvoir. Ce dernier s’impose à lui en fonction des circonstances.

Ce pouvoir peut s’analyser comme une seconde chance qu’il faut saisir quand elle se présente. Le manga nous montre qu’il faut aller de l’avant. Le saut dans le temps (la « rediffusion ») est l’impulsion initiale à partir de laquelle l’histoire se met en branle et ce n’est pas un hasard si Satoru n’a plus de rediffusion suite à sa sortie du coma. Il a été le héros et l’individu qu’il pouvait/devait être : désormais, il pourra continuer sa vie de héros et/ou de mangaka sans ce pouvoir, son autre vie s’effaçant peu à peu de sa mémoire. Satoru est ainsi redevenu l’enfant qu’il était, animé des mêmes sentiments et la rencontre finale représente sans doute le plus beau cadeau qui pouvait lui être fait.

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Un face-à-face si longtemps attendu…

« Là où tu tombes, trace une nouvelle ligne de départ »

Avec Erased Kei Sanbe nous offre un manga que l’on n’oubliera pas et qui appuie sur un point éminemment important : la vie est faite de hauts et de bas et face à cela il ne faut pas baisser les bras, être passif et subir mais, au contraire, faire face en s’appuyant sur les liens qui nous entourent. Si la solitude n’est pas une tare, elle ne permet pas à l’individu de pleinement s’épanouir (ou alors dans la mort des autres).

De plus, le manga suggère que l’héroïsme est l’affaire de tous. Les héros du manga n’ont pas tous un don comme Satoru. Á côté de lui se trouvent des héros ordinaires (ce qui n’est nullement dépréciatif, bien au contraire) comme sa mère, Airi, Kenya… et l’héroïsme se joue dans tout un tas d’actions au quotidien : c’est un travail constant où l’on protège les autres, où l’on fait et prête attention aux autres et à soi. L’individu en sort alors augmenté, grandi, et ce message qui irrigue le manga est encore plus important à une époque où l’on s’inquiète du repli sur soi et de la montée des solitudes.

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L’illustration de la série que je préfère : Satoru (enfant) avec Kayo

(1) Comme pour mieux rappeler le titre japonais du manga : Boku dake ga Inai Machi que l’on peut rendre par « La ville d’où j’ai été effacé ».

P.S. : les images et illustrations présentes dans cet article demeurent la propriété de Kei Sanbe, Kadokawa Shoten et des éditions Ki-oon.

Publié par

Anvil

Lecteur de manga, manhua, manhwa... visionneur d'animés, films... et de plein d'autres "trucs" car ma curiosité n'a (presque) pas de limites. Je suis touche-à-tout sans être bon à rien. Les avis présents ici n'ont, par conséquent, aucune prétention si ce n'est celle d'offrir un point de vue sur une œuvre qui m'a interpellé. Vous pouvez me retrouver sur Twitter : @Anvil_G ; sur Sens Critique : Anvil et ailleurs... See you Space Cowboy!

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