March comes in like a lion, vol.1-2 – La force des liens

« Je crois que rien que le fait qu’il existe
un lieu où je suis le bienvenu, rien
qu’entendre ces mots, me remplissait
le ventre tellement ça me fait plaisir. »
Rei Kiriyama

Peut-être suivez-vous l’adaptation animée de March comes in like a lion de Chica Umino. Si c’est le cas soyez rassurés : le manga le complète parfaitement. Peut-être ne suivez-vous pas l’animé. Si c’est le cas soyez rassurés : le manga vous transportera. Vers quoi ? C’est tout l’enjeu des lignes qui suivent.

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La froideur de la solitude

Quitte à être trop schématique, risquons quelques mots de présentation générale. Le personnage principal, Rei Kiriyama, âgé de 17 ans, est un joueur de shôgi professionnel. Si vous ne connaissez rien à ce jeu, même s’il ne vous intéresse pas, ne lâchez pas le manga. Non seulement des informations sont données pour nous introduire – progressivement – à l’univers du shôgi (vous avez même droit à une explication avec des chats !) mais encore ce dernier apparaît comme une bonne porte d’entrée pour appréhender les sentiments et l’existence des joueurs que l’on voit s’affronter.

Revenons à Rei : il vit seul dans un appartement plein de vide. Son logement contient le minimum vital. Quand il ne participe pas à des matchs de shôgi, Rei étudie pour s’améliorer, se rend au lycée ou fait des courses car il n’a plus rien. Parfois sa route croise celle de trois sœurs : Akari, Hina et Momo. Elles habitent de l’autre côté du fleuve – l’eau et le vent, deux éléments centraux dans l’animé à retrouver dans le manga – nous y reviendrons. Ce quatuor partage quelques points communs, la faute à la vie, et nous offre des instants simples, drôles, émouvants.

Contrastant avec le poème en prose de Baudelaire « La Solitude » (in Le Spleen de Paris, XXIII) le manga nous montre que la solitude a des aspects sombres. On se cache pour pleurer, un souvenir suffit à obscurcir le visage et à ramener à la surface des pensées qui font mal. Le bien-être est une chose fugace, qui disparaît aussi rapidement que les aigrettes d’un pissenlit suite à une bourrasque de vent.

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Un nouveau jour commence pour Rei

La chaleur d’un foyer

Dans ce paysage il y a une lueur d’espoir, une chaleur de l’autre côté du fleuve. Le pont qui relie les quartiers de Rei (Rokugatsuchô) et des trois sœurs (Sangatsuchô) relie deux univers différents : dans le quartier de Rei il n’y a que des entreprises, des entrepôts, des logements. Les magasins, restaurants… ce qui est nécessaire à sa subsistance se trouve de l’autre côté. Dans son quartier Rei est seul (ou presque : il a parfois quelques visites imprévues…) ; son goût pour la solitude est marqué, peut-être évoluera-t-il au fil des tomes. Franchir le pont c’est ne pas perdre contact avec le monde qui l’entoure.

La maison où vivent Akari, Hina et Momo est alors un refuge où Rei se rend de temps en temps : les jeunes filles l’invitent souvent mais il faut parfois lui forcer la main pour qu’il accepte de venir et remplir son corps (un peu, Rei n’a pas un grand appétit) et son âme de quelques paroles. La situation est la même à l’école où Rei parle peu, mange seul, bien qu’un professeur (qui aime le shôgi) lui tienne parfois compagnie et n’hésite pas, lui aussi, à le bousculer. Même dans l’univers du shôgi Rei n’est pas toujours seul, entre son rival/meilleur ami (Harunobu) – et son commentaire passionné d’une partie de shôgi de Rei à la télévision – et d’autres joueurs qui prennent Rei sous leur aile.

Le jeune garçon peut ainsi compter sur des liens qui se substituent, même imparfaitement et incomplètement, à ceux qu’il a perdus. Où l’on voit que le manga aborde une thématique importante : l’existence est motivée, au moins en partie, par l’établissement et le maintien de liens, quelle que soit leur nature.

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Un souvenir a surgi dans l’esprit de Rei

Tonnerre lointain

Un des éléments les plus frappants de la série c’est sa capacité à créer des ruptures de ton, de rythme, en quelques cases. Ces ruptures passent par différents canaux : paroles, pensées, introduction d’un personnage… Ainsi d’une scène où Rei rentre chez lui et voit sa « sœur » Kyôko (le jeu de miroir entre elle et Akari, Hina et Momo a en plus piqué ma curiosité) ; où Akari glisse une phrase qui change l’atmosphère de la pièce ; où Rei voit passer un reportage à la télé et fait immédiatement le rapprochement avec sa condition… En un instant l’ambiance se transforme, parfois pour nous faire rire, parfois pour nous émouvoir.

Toujours avec justesse et finesse, Chica Umino nous donne à voir ces moments de plaisir et ces moments de douleur. Parfois la souffrance est muette, intérieure, parfois elle s’extériorise. La fin des tomes 1 et 2 en constitue une bonne illustration. Le quotidien est ainsi fait d’une juxtaposition de différents instants, à l’instar des planches de début de chapitre qui, mises bout à bout, racontent des mini-histoires. On pourrait ainsi voir la vie comme une partie de shôgi : il faut avancer ses pièces et tous ces mouvements donnent, à la fin, un parcours de vie, une trajectoire, avec des hauts et des bas.

Que l’on se rassure la série n’est pas noire. On trouve aussi bon nombre de moments drôles grâce aux personnages (Hina, Momo, Nikaîdo…), aux situations. Et puis il y a des moments qui ne sont ni tristes ni drôles mais qui parviennent à nous toucher, nous interroger alors que quelques paroles seulement sont échangés (je pense ici tout particulièrement à l’échange entre Rei et Takahashi, un joueur de base-ball dont Hina est amoureuse).

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Rei, Hina, Akari et Momo (la plus jeune) ainsi que trois chats

Ce qui est précieux

Chica Umino aime son manga. Cela se ressent dans son travail, dans le soin qu’elle met à nous expliquer le shôgi et ses règles, dans le soin qu’elle met à présenter les personnages. Il n’y a pas de potiche mais des personnages qui, chacun à leur niveau, contribuent à faire avancer le grand tout que constitue March comes in like a lion. Le rendu des personnages convainc rapidement et, plus encore, les expressions de ces derniers, leurs interactions rendent le manga éminemment réaliste, d’autant plus lorsque l’auteur se met à imager certaines situations, à recourir à des métaphores.

Autre élément participant au plaisir de lectures : des références sont glissées ici et là, par rapport à d’autres mangas, à l’animation… surtout certaines cases contiennent outre les personnages, les bulles, différentes notes qui participent au comique de telle ou telle situation (celles sur les chats présents chez les trois sœurs sont un modèle du genre). Elles constituent même un certain tour de force car il n’y a jamais l’impression d’une case surchargée. L’occasion d’évoquer le très bon travail de traduction réalisée par Misato Raillard.

***

Les lignes qui précèdent n’ont, comme souvent, qu’effleuré une partie de ce que March comes in like a lion a à offrir. Avec deux tomes disponibles simultanément dont le premier à 5.95 euros, il est difficile de passer à côté d’une série qui a beaucoup à offrir sur le plan de l’expérience de lecture et des sentiments qui nous traversent au fil des pages. March comes in like a lion nous offre des étincelles de vie qui permettent d’éclairer un ciel parfois bien sombre et fait partie de ces mangas qui imprègnent le lecteur, qui continue à vivre en nous après que le tome soit refermé. Avec des personnes pour le partager, c’est encore mieux.

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P.S. : les images présentes ici demeurent la propriété de Chica Umino, Hakusensha et des éditions Kana.

P.S. 2 : merci à @_TheWasp_ pour ses corrections !

Publié par

Anvil

Lecteur de manga, manhua, manhwa... visionneur d'animés, films... et de plein d'autres "trucs" car ma curiosité n'a (presque) pas de limites. Je suis touche-à-tout sans être bon à rien. Les avis présents ici n'ont, par conséquent, aucune prétention si ce n'est celle d'offrir un point de vue sur une œuvre qui m'a interpellé. Vous pouvez me retrouver sur Twitter : @Anvil_G ; sur Sens Critique : Anvil et ailleurs... See you Space Cowboy!

6 réflexions au sujet de “March comes in like a lion, vol.1-2 – La force des liens”

  1. C’est exactement ça ! En lisant cet article, ça m’a rappelé L’Etranger de Camus, qui est un contre-exemple, mais montre bien la nécessité de se forger des liens pour se maintenir en ce monde.
    Ca m’a semblé une évidence, mais il fallait que quelqu’un la formule : oui, Chica Umino aime son manga, et on peut aussi ajouter : ses personnages. Elle y met vraiment tout son coeur et ça se ressent. On ne peut qu’être sensible à ça.

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    1. Bonjour anon et merci pour ton message !
      Meursault est en effet un très bon contre-exemple, il faudrait inviter plus souvent la littérature à la table. 🙂
      C’est vrai que l’affection de Chica Umino pour ses personnages se ressent page après page. Par cet aspect, le manga me rappelle A Silent Voice de Yoshitoki Oima. Les deux m’ont touché, chacun à leur manière.

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  2. Je n’ai pas lu A Silent Voice, il faut dire que tout le tapage autour m’avait un peu rebuté (les promos de Ki-oon ont parfois tendance à m’agacer). Je m’y mettrais peut-être un jour même si ça ne m’attire pas vraiment.

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    1. J’espère que tu auras l’occasion de t’y plonger. Le tome 6 m’avait pas mal chamboulé à l’époque. Le manga n’est sûrement pas exempt de défauts mais il contient quelques scènes fortes, simples et belles, comme je les aime. 🙂

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