Gloutons & Dragons, vol.1 – Les saveurs du donjon

« Ne prélever que ce qu’on consomme
c’est une règle d’or. »
Senshi

Nouveau titre du magazine Harta à arriver en France,  Gloutons & Dragons (Dungeon Meshi) est aussi le premier manga de Ryoko Kui à être disponible dans notre langue. Double nominé aux Manga Taishô Awards (2016, 2017) la série nous entraîne dans une exploration multidimensionnelle qui ne nous fera plus regarder un donjon de la même façon. Résisterez-vous à l’appel de l’aventure ?

Gloutons et Dragons Tome 1
Malgré la couleur de son chapeau, le champignon est comestible

Bien manger c’est le début du bonheur

La jaquette du premier volume nous renseigne sur le fait que Gloutons & Dragons n’est pas une histoire banale se déroulant dans un donjon, nième variation de Dungeons & Dragons. Si l’on repère un dragon ainsi qu’un quatuor regroupant différentes classes (guerrier, magicien, cuisinier…) et races (humaine, naine, elfe, halfelone) qui évoluent entre quatre murs, ils sont arrêtés pour la pause repas. Élément qui accentue encore le décalage, le guerrier au premier plan, Laïos, se présente à nous armé d’une poêle et d’une spatule ! Des outils nécessaires : pour une exploration de donjon réussie – surtout quand ce dernier est gigantesque – il faut non seulement être fort mais aussi (bien) manger !

Ryoko Kui place ainsi au premier plan (pour le moment) la question de la nourriture – le titre de chaque chapitre renvoyant à une recette. On voit ainsi comment le manga se réapproprie le donjon. Celui-ci n’est pas qu’un lieu dangereux et sombre ; c’est aussi une formidable source de nourriture. Il importe bien sûr de ne pas trop taper dedans (maintenir l’équilibre) et de bien connaître les différents « ingrédients » disponibles pour ne pas s’empoisonner. Senshi (le nain) est précieux à cet égard. Il fait découvrir à Laïos (qui a une appétence pour les expériences culinaires), Marcyle (l’elfe magicienne) et Tylchak (spécialisé dans l’ouverture des serrures et la détection de pièges) différentes recettes, tout en veillant à une alimentation équilibrée.

Les bons petits plats de Senshi ne vont toutefois pas sans susciter quelques résistances. Si Laïos est plus que partant et que Tylchak goûte avec pragmatisme, Marcyle est plus réticente (non, on ne rejoue pas le conflit entre les elfes et les nains). Elle se résout de mauvaise grâce et proteste souvent par rapport à ce qui est proposé. Le manga abrite alors toute une réflexion sur l’acte de manger (consommer local, pas de gaspillage, partager un repas ensemble, prendre son temps, ce n’est pas parce que les ingrédients nous repoussent que le plat sera indigeste…). Mais par ses protestations et ses réactions, Marcyle s’impose comme l’élément le plus remuant du groupe, qui participe à infuser l’humour au fil des pages.

Marcyle

Porte-monstre-trésor

Gloutons & Dragons ne se réduit pas à une juxtaposition de recettes de cuisine, dont la préparation occuperait toute l’intrigue. Á l’instar de Golden Kamui (qui partage le même traducteur que Gloutons & Dragons), les plats servent à donner des forces aux personnages pour leur permettre d’atteindre leur mission. Elle consiste ici à venir en aide à la sœur de Laïos, Farynn. Elle a été mangée par un dragon flamboyant (que Senshi rêve de cuisiner) alors que son frère et d’autres affrontaient la bestiole. Affamés, ils n’étaient pas très efficaces. Farynn aura le temps de téléporter son frère et les autres à l’extérieur avant que le dragon ne l’engloutisse.

Le manga commence ainsi par une défaite pour Laïos et les siens qui doivent alors repartir du début. Il faut à nouveau pénétrer dans le donjon – ce qui nous permet de le découvrir au fur et à mesure. Pour ce nouveau séjour, Laïos et les siens sont quasiment fauchés (d’où l’intérêt de manger ce qu’ils trouvent) et, surtout, ils sont moins nombreux. Deux membres ont été recrutés par une autre guilde et quittent donc l’aventure. Des six du départ ils ne sont plus que trois à composer l’équipe. Et ils doivent retrouver le dragon avant qu’il n’ait digéré Farynn sinon il ne sera plus possible de la ressusciter.

Il ne faut donc pas perdre trop de temps dans l’exploration du donjon. Pièce central du récit, monde en soi, celui-ci se différencie d’un donjon quelconque sur plusieurs points : i) il s’agit d’un donjon que l’on débute par le haut car enfouit sous terre et donnant sur une cité mystérieuse qui aiguise bien des appétits ; ii) on n’évolue pas seulement entre quatre murs, du moins au début, ce qui relativise l’aspect huis-clos. Bien sûr il comporte son lot de pièges, de raccourcis à trouver, de créatures diverses et variées. La faune et la flore participent pleinement de la constitution d’un véritable univers que l’auteure prend soin de construire chapitre après chapitre, en même temps que ses personnages.

Nouveau niveau
Arrivée au deuxième sous-sol

20 000 lieues sous la terre

Au fil de leur descente dans le donjon nos quatre personnages (bientôt rejoints par d’autres ?) vont vivre ensemble, ce qui est l’occasion d’en savoir un peu plus sur eux, de voir une certaine division du travail se mettre en place mais dont les frontières sont fluctuantes. Chacun trouvera sa place, sera mis en lumière au cours d’un chapitre. Surtout que l’on devine que nos héros devront faire face à des adversaires bien plus redoutables que ceux qu’ils croisent ici. D’autant plus que le donjon joue le rôle de porte d’entrée vers un monde plus large : une cité enfouie. Si elle est évoquée dès les premières pages il est trop tôt pour savoir à quel point ces éléments seront développés par la suite. Mais cela offre des pistes.

De manière générale, Gloutons & Dragons est irrigué par l’humour et l’ironie. Humour dans les situations, dans les propos des personnages. Les visages des personnages rendent joliment les moments de plaisir, de réflexion, de doutes, de colère et leurs pensées viennent s’ajouter comme un joli condiment. Ryoko Kui assaisonne ses personnages avec un soin particulier apporté aux visages, cheveux, vêtements, décors. Du travail de précision. On remarquera que l’auteure n’use pas de double ou de pleine page ce qui participe à la sensation d’enfermement au fur et à mesure que l’on avance. Ironie aussi parce que si l’option résurrection existe (c’est même un business assez juteux !) l’exploration du donjon reste dangereuse ; tous les morts ne sont pas ramenés à la vie. De même la série offre aussi un certain recul sur ce qui se joue dans le donjon et développe divers thèmes qui participent à la finesse du titre.

Pour faire tenir tout cela il fallait un écrin digne de ce nom. Il nous est fourni par l’édition française. Déjà par une jaquette cartonnée dont le contact rappelle une boîte de jeu ou un grimoire. Impression renforcée lorsque l’on retire la jaquette et que l’on parcourt le tome nu. La traduction réalisée par Sébastien Ludmann est à la fois précise dans la description des recettes tout comme elle rend impeccablement les décalages de tons et parsème ici et là quelques références à d’autres œuvres de cet univers.

Pas que de la viande
On ne mange pas que de la viande !

Du rab !

Á l’interface du jeu de rôle et de la cuisine, Gloutons & Dragons nous offre une entrée en matière savoureuse. Maîtrisant les codes propres au jeu de rôle pour mieux les détourner et les mettre au service de son histoire, la série de Ryoko Kui a tout ce qu’il faut pour ne pas tomber dans les oubliettes et maintenir notre intérêt éveillé. Mêlant opération de sauvetage, exploration de donjon et découvertes culinaires, les sept chapitres de ce premier volume satisferont les appétits de tous les lecteurs.

 

Copyrights Dungeon Meshi

 

 

Publié par

Anvil

Lecteur de manga, manhua, manhwa... visionneur d'animés, films... et de plein d'autres "trucs" car ma curiosité n'a (presque) pas de limites. Je suis touche-à-tout sans être bon à rien. Les avis présents ici n'ont, par conséquent, aucune prétention si ce n'est celle d'offrir un point de vue sur une œuvre qui m'a interpellé. Vous pouvez me retrouver sur Twitter : @Anvil_G ; sur Sens Critique : Anvil et ailleurs... See you Space Cowboy!

Laisser un commentaire